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Et avec ça, qu'est-ce que je fais

Résister en famille face au chômage.

Résister en famille face au chômage.

 

Comment entretenir la confiance de nos enfants, la stabilité et la sécurité de la famille quand elle est frappée par le chômage ? La perte d’emploi fait surgir les sentiments de honte, de peurs, les réflexes archaïques et s’attaque à l’estime parentale. Thérapeute familial et systémiste, Jean Van Hemelrijck propose de sortir de l’accablement, prône le mouvement et la reprise en main de sa propre histoire.

 

Psychologies : À quel point le chômage est-il une mauvaise nouvelle au sein d’une famille ?

 

Jean Van Hemelrijck : Il est important, d’abord, de replacer la question dans lec ontexte du nouveau rapport parents/ enfants.

 

Les parents sont plus redevables qu’auparavant envers leurs enfants, car la séparation entre les générations n’est plus aussi nette : les enfants sont devenus les témoins de ce que vivent leurs parents. Perdre son emploi est vécu comme une faute, une honte. La personne qui perd son emploi est très vite assimilée à un parent de mauvaise qualité. Ce qui n’est, reconnaissons-le, pas du tout le cas.

 

Lorsqu’un des deux parents perd son emploi, cela crée un déséquilibre dans la famille et le couple parental ?

 

J.V.H. : Je parlerais d’une dissymétrie, qui modifie l’économie de la famille. Cela peut amener les enfants à sentir qu’ils doivent réparer l’économie familiale, rassurer les parents et retrouver cet honneur perdu. C’est une inversion complète du processus. De plus, on n’échappe pas aux stéréotypes traditionnels : le père est assimilé à la fi erté, la performance, et la mère à la sécurité, la sensibilité.

 

S’ils ne s’estiment plus capables d’assumer ces fonctions symboliques, ils vivent un effondrement du socle constitutif mythique de la famille, qui peut déboucher, à l’extrême, sur des scènes de déchirures.

 

Il y a un paradoxe : nous sommes de plus en plus pour des familles modernes, des nouveaux rôles attribués à la mère et au père, mais le drame du chômage et l’emploi fragilisé font revenir la vieille tradition au galop.

 

Qu’advient-il lorsque le rapport salarial s’inverse au sein du couple ?

 

J.V.H. : On essaie par tous les moyens de trouver une forme d’égalité. Si le couple ne met rien d’essentiel dans la différence salariale, la situation ne se désagrège pas au-delà de l’épreuve personnelle. Mais pour beaucoup d’hommes, le modèle reste celui où ils gagnent le plus. S’ils perdent leur emploi, l’autre devient le plus fort et toute une série de symptômes apparaissent : rivalité, rapport de force, amertume.

 

Par ailleurs celui qui perd son emploi devient le spécialiste des enfants. Pour certains hommes, ça marche plutôt bien, tandis que d’autres le vivent comme une régression insupportable. Les familles abordent rarement d’elles-mêmes ce sujet en entretien. Il y a un non-dit. Puis, à un moment, une dispute éclate et certaines phrases se perdent qui ont un impact déflagratoire. Le chômage de monsieur entraîne assez fréquemment des crises de couple.

 

L’édification psychique d’un enfant peut être entravée ?

 

J.V.H. : Tout dépend de la manière dont les choses sont vécues et de l’âge de l’enfant. Petit, il ressentira l’insécurité si la famille devient un lieu fragilisé. Lorsqu’il est adolescent, il peut sentir que son père ou sa mère devienne obsolète, perde sa fonction. Il n’est plus en face d’un partenaire à qu’il peut se confronter, qu’il peut tenter de fragiliser.

 

Vit-on la précarisation d’une manière différente aujourd’hui ?

 

J.V.H. : Les médias jouent un rôle dans le relais du message de cette précarisation. En effet, la crise n’est plus un moment transitoire mais un état permanent, durable. Le mot lui-même est omniprésent. Il y a une peur réelle qui nous gagne tous de ne plus trouver de travail. Certains parents vont jusqu’à se dire qu’ils n’auraient pas dû faire d’enfants parce qu’ils ont du mal à assumer. Dans les cours de récré, de nouveaux clans se forment : après les enfants de divorcés, on observe progressivement des groupes d’enfants dont les parents ne travaillent pas.

 

Les bases sécurisantes de la famille et de la société sont fragilisées ?

 

J.V.H. : Je supervise des assistants sociaux qui font de l’accompagnement de dette. Cela permet de concevoir la manière dont les familles sont construites. Transmettre, c’est avoir une notion du temps qui passe et l’enfant va s’inscrire dans un moment de transmission. Avec la crise permanente, l’insécurité professionnelle, le temps n’existe plus, s’arrête ou est chaotique. Cela occasionne des fissures, la perte de référence autoritaire, ou des passages à l’acte particuliers.

 

On assiste par exemple à des comportements de prothèse : ces achat d’objets - électroménagers, jouets, téléphonie - qui ont fonction de représenter la richesse dans le regard du tiers. Par ailleurs, le projet social devient le travail à tout prix et non plus un monde meilleur. À présent, on vit avec l’espoir que demain ne sera pas pire qu’aujourd’hui. La crainte d’un futur plus sombre est réelle. Le progrès, l’épanouissement, l’élévation de classe sont remplacés par l’urgence et l’inquiétude.

 

Cette impression de ne servir à rien ne provientelle pas de ce que nous nous identifions ou nous sommes identifiés à ce que nous faisons ? À ce mélange entre l’être et le faire ?

 

J.V.H. : Tant qu’il travaille, le parent résiste à la dynamique d’insécurité. S’il ne travaille plus, il laisse la famille à la merci de l’insécurité du monde. Il ne «sert à rien ». Cela nourrit considérablement la peur. On a vécu longtemps avec des systèmes de figures héroïques fortes, dont les parents faisaient partie. En perdant son travail, le parent perd cette fonction héroïque. Il n’est pas étonnant de constater, dans ce cadre, l’émergence de ces nouveaux héros éphémères, remplaçables, mais terriblement sollicités par les jeunes, telles les personnalités de la télévision et de la téléréalité.

 

Qu’en est-il des personnes qui sont obligées d’arrêter de travailler en raison d’une maladie. Est-ce différent ?

 

J.V.H. : Oui, car n’est pas de l’ordre d’une volonté extérieure. On peut encore travailler psychiquement à se reconstruire à travers la guérison, la solidarité familiale, celle des proches. On peut déplacer le sentiment d’inutilité en combattant la maladie, alors qu’être éjecté vous met aux prises avec un sentiment de grande injustice, d’inutilité, une réaction de colère ou de dépression qui ne s’apaise pas car elle est sans objet tangible. Cela occasionne des décompensations corporelles ou émotionnelles : maux de dos, troubles relationnels dans la famille ou dans le couple.

 

L’insécurité n’est pas qu’un sentiment, elle est bien réelle et liée aux mutations de l’économie.

J.V.H. : Il y a ce sentiment qui correspond à la réalité : la Belgique n’appartient plus réellement à la Belgique, mais à de grandes entreprises internationales dont le centre décisionnel nous échappe complètement. Prenez Lakshmi Mittal : on sent bien qu’il s’en moque complètement. Et là, la structure d’état n’offre aucune sécurité. Cela fragilise le contenant psychique d’un pays et on se replie sur d’autres systèmes de fierté comme le sport, l’appartenance à une langue, à une ville.

 

On assiste à une fragmentation des systèmes d’appartenance qui produisent de la fierté. Les seuls immuables sont la famille et le couple et ce sont eux que la perte d’emploi fragilise le plus. C’est comme si le dernier rempart tombait et cette fracture est exploitée par certains hommes politiques.

 

Comment, dans un tel cadre, la famille peut-elle continuer à transmettre des valeurs telles que la solidarité ?

 

J.V.H. : Ce qui va permettre la transmission, c’est l’idée que le combat permet de sortir de la misère. Si on arrête de bouger, on ne transmet plus parce qu’on n’est plus digne de transmettre. S’il se bat, lutte, le parent retrouve sa fonction d’héroïsme et sa fierté. D’autre part, les mouvements fédérateurs permettent de se sentir unis contre quelque chose. Les grèves n’ont plus permis d’avancées significatives mais grâce à elles, ceux qui se battent ont pu retrouver un souffle de vie, une volonté de ne pas se laisser faire.

 

C’est crucial car c’est de cette manière que l’humanité transforme son identité et donne toute leur place à l’amour, au courage et à la volonté. Et là, on peut à nouveau raconter une histoire dont on peut être fier.

 

Il est donc capital, en tant que parent, de parvenir à raconter le drame qui survient ?

 

J.V.H. : Je tiens à mettre en garde contre un excès de psychologisation de ce type d’événement. Il faut prendre soin de ne pas mettre l’histoire personnelle au centre du drame : si je perds mon emploi, c’est la honte, mais ce n’est pas pour des raisons intra psychiques, ce n’est pas « de ma faute ». D’autre part, le silence est le plus mauvais conseiller car il cultive la honte.

 

Il faut officialiser ses émotions, utiliser les systèmes d’appartenance à sa portée : amitié, solidarité, famille, etc. La devise du Comte de Monte-Cristo pouvait être « attendre et espérer ». Aujourd’hui, cela doit devenir « bouger et espérer ». L’espoir ne peut être atteint qu’à condition de bouger. Face au drame, il est important de retrouver de l’honneur sans attendre, de bouger à tout prix.

 

JEAN VAN HEMELRIJCK est pésychothérapeute familial, formateur en thérapie familiale à La Forestière asbl. Il collabore au centre de guidance de l'UCL Louvain-la-Neuve.

 

www.psychologies.be

 

 

 

 

 



16/10/2013
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