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Considérons la séduction comme un art

 Si la séduction est un jeu, elle a ses codes, ses images, ses rituels, ses succès et ses impasses. Certains y déploient un certain talent, d’autres ferraillent, laborieux, et d’autres encore regardent depuis le banc. Mais nul n’est sensé rester à la place que son histoire personnelle, sa culture ou ses habitudes lui ont assignée. Comme l’analyse pour nous le sexologue Pascale De Sutter, la séduction dose ses effets et se nourrit de surprises pour s’adapter créativement.

Psychologies : La séduction est un comportement ou un besoin ?

Pascal De Sutter : Dans le registre biologique, la séduction est un rituel qui permet aux animaux (mammifères, oiseaux…) de pouvoir copuler. C’est un comportement attendu chez l’autre qui permet de reconnaître qu’il ou elle a envie d’un rapport sexuel. C’est aussi une série de signes nécessaires qui permettent de sentir que l’on n’est pas dans un rapport d’agression ou de prédation. Cela ne se limite d’ailleurs pas à la reproduction, même chez les animaux. Chez les primates, par exemple, on observe des méthodes de séduction pour obtenir un fruit, une alliance, un avantage. Le but de la séduction n’est donc pas uniquement sexuel, mais également social.

Chez l’humain, la séduction commence très tôt, dès la petite enfance.

P.D.S. : Dans une certaine mesure, les enfants apprennent à séduire leurs parents par des yeux doux, des mimiques, un certain ton de voix, pour obtenir certains avantages. Ces comportements de séduction leur donnent des outils qu’ils pourront utiliser plus tard. C’est d’ailleurs malheureusement dramatique quand des enfants sont négligés, n’ont pas l’occasion de développer ces manœuvres de séduction ou qu’elles sont mal comprises ou réprimées. Cela peut donner des adultes démunis. Du coup, il y a des différences individuelles : certains ont le talent de séduire parents, enseignants, camarade, tandis que d’autres sont maladroits, s’y prennent mal. Ces capacités de séduction, ou leur absence, se retrouvent chez l’adulte.

Séduction et confiance en soi sont donc nécessairement en corrélation ?

P.D.S. : Il y a des corrélations qui ne sont pas toujours vraies. Certains grands séducteurs histrioniques sont paradoxalement mal dans leur peau et compensent un manque de confiance en multipliant les modes de séduction. Parmi les gens qui ont peu de capacité de séduction, on retrouve des personnes complexées qui ne savent pas comment aborder les autres ou s’y prennent mal. Quelle attitude prendre pour que l’autre soit charmé, séduit ? Un bon séducteur adapte son jeu à la personne et certaines personnes n’ont pas cette capacité. Les habilités de séduction sont décidemment inégalement réparties chez l’être humain. Mais je pense néanmoins qu’il faut se garder d’expliquer tout en fonction d’une cause dans la petite enfance. Il n’y a pas de fatalité et la séduction peut s’apprendre.

La séduction est-elle un pouvoir de persuasion ?

P.D.S. : Considérons plutôt la séduction comme un art : il y a les techniques de base mais ce n’est pas la technique qui fait que ça marche, car elle peut avoir des effets tout à fait contraires d’une personne à l’autre. L’humour, les jeux de regards ne vont pas fonctionner de la même manière en fonction de qui les utilise et qui les reçoit.

Il est important d’expérimenter soi-même, d’adapter les techniques à la réalité. Chaque femme ou chaque homme a en sa possession des outils avec lesquels il peut se sentir plus à l’aise, et qui font sens pour chacun. Adapter les moyens à la capacité de la personne, c’est faire dans le sur-mesure plutôt que dans le prêt-à-porter.

Comment faire pour ne pas réduire la personne que l’on désire séduire à un objet ? Est-ce là la différence entre drague et séduction ?

P.D.S. : Les deux mots se rejoignent dans leur finalité. Les moyens ou la qualité diffèrent. La drague a une connotation plus vulgaire ou « bas de gamme ». Mais il y a des séductions plus rapides que d’autres, plus efficaces que d’autres, etc. Parfois elle peut être trop subtile et l’autre ne s’aperçoit de rien. Il est important de jouer avec les différentes notes, composer, avoir de l’audace, surprendre, montrer qu’on est intéressé mais pas trop. Quand c’est bien fait, tomber sous le charme est assez grisant car cela rejoint l’abandon, le lâcher-prise. Stendhal parle alors de cristallisation lorsque l’amour transfigure la personne, la rend plus belle, attractive. La séduction répond toujours à une forme de désir : pour l’autre, pour une faveur, pour un cadeau. Elle est l’outil pour tenter d’obtenir l’un ou l’autre.

Pourquoi parler de la séduction comme d’un rituel, si chacun peut s’adapter en fonction de ses expériences ?

P.D.S. : La séduction est très ritualisée en ce sens que d’une culture à l’autre les critères, les modes d’expression diffèrent considérablement. L’humain est très complexe et sophistiqué à ce niveau-là. Les différences dans les codes de séduction qui président à la rencontre entre deux êtres sont parfois tellement complexes et subtiles qu’elles sont très difficiles à comprendre.

Ces différences culturelles peuvent provoquer des tensions par des mauvaises interprétations, notamment des réactions féminines. Des codes culturels de séduction qui passent par une insistance extrême, par exemple, par un jeu de « harcèlement » auquel la femme doit résister longtemps, passent logiquement très mal dans notre culture où le harcèlement est parfaitement intolérable. Mais ces codes différents ne sont écrits nulle part, ne sont pas explicites, contrairement aux lois.

 Il n’y a pas de grammaire de séduction. Elle varie en fonction de la culture et de l’époque. De ce fait, certaines personnes, hommes ou femmes, font beaucoup d’erreurs, se sentent piégés parce que des codes n’ont pas été respectés ou peuvent vivre un manque de reconnaissance, du rejet, voire du racisme. C’est une des limites ou un des défis du multiculturalisme.

Et que dire de la séduction dans le couple ? Est-elle vouée à jouer le rôle de la grande absente ?

P.D.S. : Il est reconnu plus stimulant de convaincre quelqu’un qui n’est pas encore acquis ou étranger au couple. Dès lors que la personne est acquise, pourquoi faire des efforts ? Résultat : la majorité des couples stables ne se séduisent plus. C’est un vrai problème car la séduction disparait à plusieurs niveaux. Dans la communication, on ne se dit plus des choses tendres, des compliments. On n’est plus épaté, ni admiratif de l’autre.

Pire encore est le niveau non verbal - les cinq sens, le toucher : il n’y a plus d’effort pour surprendre, charmer. J’organise des week-ends à destination des couples pour redécouvrir le désir par les sens. Je vois des personnes qui se connaissent sur le bout des ongles complètement démunies. Elles perdent leurs moyens, elles ont peur des manœuvres de séduction, comme si elles posaient un geste incestueux.

Conserver une part de mystère, c’est aussi important que difficile ?

P.D.S. : Oui, car il a tendance à se dissoudre dans le couple. Recréer du mystère, c’est tout un art… qui peut se réapprendre : en recréant de la distance, du manque, du désir, en découvrant un nouveau toucher, des nouvelles sensations. C’est normal de perdre un peu de ça, mais ce n’est pas pour cela que c’est souhaitable.

Nous dépensons de l’énergie et du temps à penser à notre boulot, à nos investissements financiers, immobiliers. Pourquoi ne pas passer ces minutes à imaginer ce qui va surprendre son ou sa partenaire, quel geste poser, quel mot prononcer ? Il y a une rééducation pour déjouer le cercle vicieux et créer un cercle vertueux du désir et de la séduction au sein du couple. Et l’entretenir. C’est un choix et il y a des efforts à faire, comme dans tout.

Pascal De Sutter est professeur à la faculté de psychologie de l’U.C.L. Il travaille dans la recherche et l’enseignement en psychologie appliquée et de la sexologie clinique.

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